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Inquiètudes sur les coûts des matières premières agricoles

2012-08-18

«La bonne récolte algérienne ne suffira pas à réduire la très forte dépendance des importations»


Selon Agritel (organisme conseiller en investissements financiers), l’Algérie a confirmé l’achat de 400 000 t de blé dur d’origine américaine à 410 dollars/t, pour des chargements en octobre. L’Algérie est également à l’achat anticipé pour
50 000 t de blé tendre d’origine optionnelle. Que se passe-t-il ? Les marchés sont-ils déréglés à ce point ? Nous avons posé ces
questions à Gautier Le Molgat, consultant à Agritel.

- Sommes-nous à la veille d’un véritable état d’alerte mondial en ce qui concerne le coût des matières agricoles alimentaires ?




En mai dernier, les perspectives de production sur les principaux marchés céréaliers étaient plutôt favorables à une détente des stocks mondiaux. Mais après une sécheresse historique aux USA et des conditions également défavorables sur le bassin mer Noire-Russie notamment, les perspectives se sont largement détériorées en termes de production, ce qui devrait mener à une tension encore plus importante sur les stocks. Aux Etats-Unis, les cours du blé et du maïs ont ainsi augmenté respectivement de +30% et de +50% depuis le début du mois de juin. En France, cette tension s’est également répercutée sur les cours avec une hausse de l’ordre de +60 euros/t sur les cours du blé, sur les deux derniers mois. Cependant, la situation est moins critique sur d’autres produits, notamment le riz. Les cours du riz ont quelque peu augmenté, mais sans commune mesure avec les autres marchés céréaliers. Cela permet d’équilibrer quelque peu les bilans et ainsi de ne pas revoir actuellement la situation connue en 2007.



- Pour le Maghreb, quelles sont les données dont on dispose ? La situation est-elle critique ?


Les récoltes présentent d’importantes disparités au sein même du Maghreb, puisque le Maroc fait une très mauvaise récolte (-40% en blé par rapport à 2011), alors que l’Algérie, avec près de 4 millions de tonnes (Mt) de blé, dont 3 de blé dur, signe sa plus belle récolte historique. Les explications sont à chercher dans les conditions climatiques de la fin de l’hiver, avec un temps excessivement sec au Maroc, alors que l’Algérie, malgré le froid, profitait de précipitations abondantes. Dans ce contexte, le Maroc voit sa dépendance des marchés mondiaux augmenter considérablement (55-60%), alors que le pays ne dépend habituellement des importations que pour 40% de sa consommation. En revanche, la bonne récolte algérienne ne devrait pas modifier fondamentalement les équilibres en place, puisqu’elle ne suffira pas à réduire de façon conséquente la très forte dépendance du pays des importations. Globalement, on peut donc dire que les pertes de récolte au Maroc ne sont pas compensées par les meilleures récoltes algériennes, ce qui complique la situation pour la région dans un contexte d’envolée généralisée des cours des matières premières agricoles. Toutefois, les bonnes récoltes algériennes ainsi que les importants volumes déjà sécurisés depuis cet hiver par l’Algérie devraient limiter les risques d’approvisionnement sur le Maghreb. Enfin, les relations commerciales privilégiées, entretenues de longue date avec l’Europe, et notamment la France, contribuent également à limiter le risque en termes d’approvisionnement.



- Quels sont les effets de la canicule sur les prix des matières agricoles dans le sud de l’Europe et en Afrique du Nord, deux régions fortement touchées ?


Le premier impact de la canicule est naturellement la baisse de production. Une moindre disponibilité tend ainsi le marché local et pousse à avoir recours à des importations au Maghreb, et donc de dépendre de l’évolution des prix internationaux. Les pays exportateurs devraient ainsi être largement plébiscités par l’Afrique du Nord, avec une progression des volumes d’affaires. Les prix des matières premières devraient conduire certains pays à revoir à la hausse la part du budget alloué à ce poste, ou impliquer par répercussion une hausse des prix des denrées alimentaires pour le consommateur final.Les dérèglements des coûts sont-ils seulement dus aux raisons climatiques ? Les conditions d’échange spéculatif des marchandises ne sont-elles pas en cause ?
La tendance haussière actuelle est clairement liée à des éléments fondamentaux. La baisse des perspectives de production tend inévitablement les bilans, suivie d’un rationnement assez logique de la demande face à la hausse des prix. Les opérateurs financiers, notamment anglo-saxons, s’intéressent de plus en plus aux marchés des matières premières agricoles.
Ce n’est pas tant leur présence qui pose problème que leur réactivité pour profiter des opportunités de prix. Ils viennent ponctuellement pour profiter de la tendance, mais ce ne sont pas eux qui la font. Pour le moment, ils se contentent d’acheter et de vendre des contrats, apportant ainsi des liquidités sur le marché. Les professionnels de la filière agricole des grains ont, d’ailleurs, besoin d’eux pour fluidifier le marché.



- Comment peut-on analyser la montée au créneau du président français François Hollande à la fin juillet qui a demandé qu’une attention particulière soit portée à l’évolution des marchés mondiaux des céréales, dont les prix ont fortement augmenté ?


Avant tout, il est nécessaire de poser à nouveau le problème de la hausse des prix alimentaires sous trois angles, le premier social, le second économique et le dernier politique. La hausse des prix conduit inévitablement à faire attention à l’impact d’une hausse des denrées de première nécessité dans de nombreux pays, où les problèmes alimentaires sont déjà récurrents. Les dernières hausses alimentaires ont, d’ailleurs, conduit à des situations très difficiles et souvent à une instabilité dans de nombreuses régions du monde. En termes économiques, il est important de rappeler que la hausse des prix est mondiale. Une hausse des prix des produits alimentaires laisse donc apparaître une baisse du pouvoir d’achat et craindre un risque inflationniste. Dans le contexte économique actuel, cet élément est souvent peu préconisé pour favoriser une relance économique. Enfin, en termes politiques, la France, dans le cadre du G20, a été à l’initiative de la création du système d’information sur les marchés agricoles AMIS, mis en place dans le cadre de la FAO. Il paraît donc assez logique de voir la France alertée sur le sujet des hausses des prix. Néanmoins, il faut rappeler que les pouvoirs politiques ont de plus en plus de mal à coordonner des moyens d’action dans un marché ouvert et mondialisé des matières premières agricoles.



- Que peut-on faire face à la volatilité des prix ? Sommes-nous obligés de subir ces mouvements ?


Aujourd’hui, les intervenants de marché doivent de plus en plus être informés et s’interroger sur leur méthode d’achat ou de vente et surtout leurs limites. Il est nécessaire de bien intégrer l’impact d’une bonne ou d’une mauvaise stratégie. Pour cela, l’analyse du marché et le conseil dans la commercialisation des grains sont de plus en plus importants à intégrer dans les métiers du commerce des grains. Le recours à des formations sur les outils de couverture est essentiel, car il existe bel et bien des outils pour se prémunir des variations des prix des matières premières agricoles, mais ils sont aujourd’hui encore trop peu utilisés par les professionnels des grains.


Walid Mebarek            EL Watan


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